Cette station baleinière abandonnée a tué 175 000 baleines avant de devenir fantôme
Le navire contourne lentement la baie King Edward. Des structures métalliques rouillées percent la brume antarctique. Les carcasses de bâtiments abandonnés se dressent face aux glaciers étincelants. Bienvenue à Grytviken, la station baleinière où 500 hommes tuèrent 175 000 baleines avant de disparaître dans les années 1960.
Cette ville fantôme industrielle repose sur l'île de Géorgie du Sud, à 1 300 km de l'Antarctique. Un territoire britannique d'outre-mer de 3 500 km² où seuls 200 à 1 400 habitants vivent selon les saisons. Aujourd'hui, Grytviken attire 20 000 visiteurs par an. Un chiffre dérisoire qui représente 0,00025% de l'humanité.
L'arrivée au bout du monde coûte 14 000 €
Depuis l'Europe, il faut d'abord voler jusqu'en Amérique du Sud. Buenos Aires, Santiago ou Ushuaia servent de points de départ. Ensuite, seuls les navires d'expédition atteignent Grytviken après avoir franchi le redoutable passage de Drake.
Les expéditions durent 18 à 22 jours pour 12 700 à 16 200 €. À l'inverse d'Húsavík qui accueille 38 500 visiteurs par an, Grytviken limite strictement l'accès. Maximum 100 personnes simultanément peuvent débarquer. La durée moyenne de visite ne dépasse pas 4,2 heures par groupe.
Les températures oscillent entre -1°C et +3°C en novembre 2025. L'été austral s'étend de novembre à janvier. Cette fenêtre offre les conditions les moins hostiles pour explorer les ruines de la dernière station baleinière intacte de l'Antarctique.
L'empire baleinier : 175 000 géants abattus en 60 ans
L'apogée industriel lancé par Carl Anton Larsen
Le capitaine norvégien Carl Anton Larsen fonda Grytviken le 16 novembre 1904. La première année, 195 baleines furent capturées. Le succès attira rapidement d'autres chasseurs. Sept stations baleinières fonctionnèrent simultanément : Grytviken, Prince Olav Harbour, Husvik, Stromness, Leith Harbour, Godthul et Ocean Harbour.
La population maximale atteignit 500 hommes accompagnés de leurs familles. Les baleiniers extrayaient l'huile de la graisse, de la viande et des viscères. Les os servaient d'engrais. Ils chassaient aussi les éléphants de mer pour leur graisse.
Le déclin face à l'épuisement des ressources
Entre 1904 et l'arrêt progressif dans les années 1960, 175 000 baleines périrent dans les eaux de Géorgie du Sud. L'industrie ne connut qu'une limite : la capacité de stockage des installations. Peu à peu, les baleines disparurent. Les stations fermèrent une à une.
En 1969, les Britanniques installèrent une base de recherche à King Edward Point, près de Grytviken. La guerre des Malouines en 1982 interrompit temporairement les activités. Depuis 1985, la Géorgie du Sud constitue un territoire britannique d'outre-mer. L'UNESCO reconnut le site comme patrimoine mondial en 1999.
Marcher parmi les fantômes de l'industrie baleinière
Le musée installé dans l'ancien bâtiment du directeur
Le Musée de la Géorgie du Sud, créé en 1991, occupe l'ancienne résidence du directeur de la station. 16 200 visiteurs l'ont découvert en 2024, soit 92% des touristes débarquant à Grytviken. Les vitrines exposent des documents de Carl Anton Larsen et d'Ernest Shackleton.
Des photos d'époque montrent la vie quotidienne des baleiniers. Comme à Fordlândia où les ruines d'Henry Ford témoignent d'une époque révolue, les cuves de traitement rouillées racontent une histoire industrielle brutale. Des spécimens naturalisés, notamment des morceaux d'un calmar colossal, complètent l'exposition.
La randonnée sur les traces de Shackleton
Le petit cimetière de Grytviken abrite la tombe la plus célèbre : celle d'Ernest Shackleton. L'explorateur britannique mourut d'une crise cardiaque le 4 janvier 1922, quelques heures après avoir débarqué de son navire Quest. Les visiteurs peuvent suivre le chemin qu'il emprunta à travers les glaciers et les plages de sable noir.
La faune sauvage reprend ses droits. 12 500 couples de manchots royaux vivent à proximité immédiate. 850 éléphants de mer fréquentent la baie entre décembre et février pour leur période de mue. 320 couples d'albatros hurleurs nichent sur les falaises environnantes.
L'exclusivité a un prix : 20 000 visiteurs pour 8 milliards d'humains
Aucun hôtel n'existe à Grytviken. Les 78 navires d'expédition autorisés chaque année servent d'hébergements flottants. Oceanwide Expeditions propose des séjours à partir de 14 950 € pour 20 jours. Hurtigruten Expeditions débute à 12 700 € pour 18 jours. Quark Expeditions affiche des tarifs dès 16 200 € pour 22 jours.
Ces prix incluent transport, hébergement en cabine, tous les repas et activités guidées. Chaque bateau paie 250 livres sterling par personne de frais administratifs. Contrairement au cimetière de Loyasse qui reçoit des milliers de visiteurs gratuits, l'accès à Grytviken demeure un privilège coûteux.
Comparé aux 75 000 touristes visitant l'Antarctique classique, aux 250 000+ découvrant les stations baleinières norvégiennes, Grytviken cultive sa rareté. Seuls 0,00025% des humains fouleront ses terres glacées.
Vos questions sur Grytviken, Géorgie du Sud, ancienne station baleinière abandonnée répondues
Comment accéder à Grytviken et quelle est la meilleure période ?
L'accès s'effectue uniquement par navire d'expédition depuis l'Amérique du Sud après traversée du passage de Drake. La meilleure période s'étend de novembre à janvier, durant l'été austral. Les températures sont moins rigoureuses, l'accès maritime plus sûr. La faune est active pendant la saison de reproduction.
Que voir absolument dans l'ancienne station baleinière ?
La tombe d'Ernest Shackleton dans le cimetière constitue l'incontournable. Le musée de la Géorgie du Sud, installé dans l'ancien bâtiment du directeur depuis 1991, présente l'histoire baleinière. Comme le musée maritime de Liverpool témoigne du commerce négrier, Grytviken conserve la mémoire d'une industrie disparue. Les cuves de traitement rouillées, l'église anglicane et les vestiges industriels complètent la visite.
Comment Grytviken se compare-t-elle aux autres destinations antarctiques ?
Grytviken se distingue par son authenticité patrimoniale. Husvik, autre station de Géorgie du Sud, ne reçoit que 3 200 visiteurs par an avec des structures partiellement détruites. Port Lockroy en Antarctique accueille 18 500 visiteurs mais fut transformé en boutique souvenirs. Les stations baleinières norvégiennes reçoivent plus de 250 000 visiteurs avec des aménagements modernes. Grytviken preserve son caractère de ruine authentique.
L'aube polaire caresse les structures métalliques. Un manchot royal traverse lentement la cour de l'ancienne usine. Le vent antarctique siffle entre les bâtiments vides. Les 175 000 baleines disparues hantent ce silence glacé plus puissamment que tous les musées du monde.