Ce navire soviétique dort dans un port russe avec 260 kg d'uranium depuis 37 ans
Dans le port gelé de Mourmansk, une coque rouillée émerge de la brume arctique. Le Lepse, 100 mètres de tôles grises, dort depuis 37 ans dans ses barbelés. Ce navire-fantôme renferme 642 éléments radioactifs, 260 kg d'uranium-235, immobile depuis 1988.
Aucun touriste n'a jamais visité ce "Tchernobyl flottant". Zéro visite organisée. Accès totalement interdit. Même le maire adjoint ignorait son emplacement exact en 2005.
Pourtant, il se trouve "là, à quelques centaines de mètres" du centre-ville de Mourmansk. 270 000 habitants vivent à côté du seul sarcophage nucléaire flottant d'Arctique accessible visuellement depuis la terre ferme.
Le dernier fantôme de la Flotte du Nord soviétique
Mourmansk, 1 800 km au nord de Saint-Pétersbourg. Péninsule de Kola, mer de Barents gelée six mois par an. Coordonnées GPS 68.968°N, 33.085°E, extrémité d'un quai hérissé de barbelés.
Le Lepse repose là depuis 1988. Cargo de 1934 transformé en base flottante nucléaire en 1961. Pendant 27 ans, il rechargea les combustibles irradiés des brise-glaces et sous-marins de la Flotte du Nord.
Depuis 1981, ses soutes stockent les déchets du brise-glace Lénine. Coque rougeâtre corrodée, superstructures délabrées, style naval soviétique sans ornements. Le froid arctique et les embruns salés rongent l'acier depuis quatre décennies.
Le brise-glace Lénine voisin partage la même rouille, les mêmes tôles fatiguées. Deux géants nucléaires abandonnés sous les aurores boréales, témoins d'une époque où l'URSS dominait l'Arctique.
642 éléments radioactifs sous la rouille arctique
"Ses soutes renferment 642 éléments de combustible irradié, soit 260 kg d'uranium 235", précise l'équipe de la Fondation Bellona. Un inventaire glaçant pour un navire oublié.
Jusqu'en 1992, ces déchets étaient simplement immergés en mer de Barents. Les années 1990-2000 virent naître des alertes internationales sur d'éventuelles fuites. Le démantèlement fut planifié, estimé à 13,7 millions de dollars en 2005.
Aujourd'hui, le projet total atteint 240 millions d'euros. Sept pays participent, dont la France depuis 2010, via la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
Architecture d'un cimetière flottant
Longueur estimée 100 mètres, cargo modifié avec soutes hermétiques spécialisées. Le pont supérieur s'effondre par endroits. Les tôles corrodées évoquent un fantôme industriel échoué.
Les superstructures grises contrastent avec la blancheur hivernale de la péninsule. Sous les aurores boréales, la silhouette devient spectrale. Les photos restent interdites depuis le quai sécurisé.
L'héritage radioactif de la mer de Barents
"La mer de Barents est la plus importante poubelle nucléaire au monde", dénonce l'association Sortir du Nucléaire. Andreyeva Bay, 80 km à l'ouest, stocke 21 640 éléments supplémentaires.
En 2024, 22 000 assemblages radioactifs furent évacués vers l'Oural. La flotte Nord gérait historiquement 8 brise-glaces nucléaires et 5 bateaux de service, générant 420 mètres cubes de déchets solides par an.
L'expérience interdite du bout du monde arctique
Approcher le Lepse relève de l'impossible. Site militaire fermé, autorisation Rosatom obligatoire. Seuls diplomates et inspecteurs internationaux accèdent occasionnellement au navire.
Pour atteindre Mourmansk : vol Paris-Mourmansk via Oslo ou Helsinki, 500 à 800 € aller-retour. Train depuis Saint-Pétersbourg, 24 à 36 heures, environ 100 €. Puis taxi jusqu'au port, 10 à 20 €.
"Ces sous-marins soviétiques, c'est un Tchernobyl flottant", témoigne Alexandre Nikitine, ancien officier sous-marinier devenu défenseur de l'environnement. Comme les sous-sols du KGB à Vilnius, le Lepse incarne les secrets sombres de l'ère soviétique.
Mourmansk, capitale polaire ignorée des touristes
La ville accueille 500 000 visiteurs annuels, principalement russes. Hébergement de 40 à 250 € la nuit selon le standing. Les prix restent 20% inférieurs à la moyenne russe.
Aurores boréales de septembre à mars, nuit polaire de décembre à janvier. Festivals polaires en juillet pour célébrer le Jour de la Flotte du Nord. Contrairement aux piscines turquoise accessibles ailleurs, ici la température hivernale descend à -30°C.
Gastronomie et coutumes du peuple de la mer de Barents
Saumon et morue fumés de la mer de Barents, ragoûts de renne, pain noir traditionnel. La soupe "solyanka" accompagne les repas, moyennant 10 à 15 € par personne.
Artisanat local : sculptures en os de baleine, bijoux en ambre. Hospitalité rude mais sincère, méfiance envers les étrangers due aux bases militaires omniprésentes. Comme Dresde porte ses cicatrices, Mourmansk assume son héritage nucléaire complexe.
Le silence radioactif que même les locaux évitent
En 2005, le maire adjoint de Mourmansk avouait ne pas savoir localiser ce "sarcophage nucléaire". Il dormait pourtant à quelques centaines de mètres de son bureau, dans l'indifférence générale.
Si Tchernobyl attire plus de 100 000 visiteurs par an, le Lepse reste totalement ignoré. Pas d'explosion médiatisée, juste des décennies d'accumulation silencieuse sous la rouille arctique.
Jane Smith-Briggs de la BERD salue "un bel exemple de coopération internationale". Mais le navire continue sa décomposition lente, tel Centralia qui brûle depuis 63 ans, danger invisible et permanent.
Vos questions sur le Lepse, navire nucléaire de Mourmansk, répondues
Peut-on vraiment voir le Lepse sans autorisation spéciale ?
Non. Site militaire fermé au public, visites interdites sans autorisation de Rosatom ou des autorités portuaires. Visibilité possible depuis la distance avec jumelles depuis le quai barbelé, photos interdites.
Coûts pour atteindre Mourmansk : hébergement 40 à 250 € la nuit, vol Paris 500 à 800 € aller-retour. Aucune visite commerciale organisée contrairement aux tours de Tchernobyl à 100-200 €.
Quel est le vrai risque radioactif aujourd'hui ?
642 éléments contenant 260 kg d'uranium-235 théoriquement hermétiques depuis 1988. Pas de fuite confirmée récemment, mais alertes dans les années 1990-2000 sur la corrosion potentielle des soutes.
Projet de démantèlement de 240 millions d'euros financé par la BERD, l'UE et sept pays dont la France vise la neutralisation avant 2030-2040. Timeline non confirmée officiellement.
Comment le Lepse se compare-t-il à Tchernobyl ou Sellafield ?
Similitudes : statut de sarcophage nucléaire, héritage soviétique, danger radioactif latent. Différences majeures : Lepse naval historiquement mobile contre Tchernobyl terrestre fixe.
Zéro touriste contre plus de 100 000 visiteurs annuels à Tchernobyl. Isolement arctique extrême à -12°C contre climat tempéré ukrainien. Authenticité absolue sans commercialisation touristique.
Aurore boréale verte dansant au-dessus de la coque rouillée, mer de Barents craquant sous -20°C. Le Lepse demeure sentinelle immobile de l'ère nucléaire soviétique, gardien de 260 kg d'uranium que personne ne viendra jamais visiter.