Dans ce sous-sol du KGB à Vilnius, 1 000 personnes ont été exécutées
Une porte rouillée s'ouvre sur un escalier en béton qui descend sous l'avenue Gedimino. Soudain, le silence. Pas celui d'un musée ordinaire, mais celui qui suit un cri étouffé.
À Vilnius, capitale de la Lituanie, le Musée des Occupations et des Luttes pour la Liberté occupe l'ancien siège du KGB. Plus de 1 000 personnes y ont été exécutées entre 1944 et 1960. Contrairement aux prisons politiques devenues attractions, celle-ci n'a rien d'une reconstitution.
Elle est restée intacte depuis août 1991, figée dans l'instant de l'indépendance lituanienne.
Un bâtiment qui refuse d'oublier
Construit en 1899 comme tribunal sous l'Empire russe, ce bâtiment néoclassique de trois étages au 4/7 avenue Gedimino ne paie pas de mine. Façades grises austères, fenêtres hautes, briques impériales. Rien n'indique qu'il abrite 19 cellules d'interrogatoire au sous-sol.
Dès 1940, invasion soviétique, le NKVD le transforme en prison interne. Puis vient la Gestapo (1941-1944), puis le KGB jusqu'en 1987. En 1992, un an après l'indépendance, le gouvernement lituanien décide de ne rien toucher.
Pas de restauration, pas de mise en scène. Les murs gardent leurs inscriptions gravées, les sols leurs carrelages usés, les portes leurs verrous rouillés. À Dresde, la reconstruction symbolise l'espoir, ici la conservation brute témoigne de la mémoire.
1 000 exécutions dans une « cuisine »
La salle d'exécution que le plan appelait « cuisine »
Au sous-sol, une cellule sans fenêtre, murs capitonnés de matelas pour étouffer les détonations. Sur le plan d'étage officiel du KGB, elle s'appelait cyniquement "la cuisine". C'est ici que 479 personnes ont été exécutées en 1945, pic des purges staliniennes.
Les exécutions avaient lieu deux fois par mois dès septembre 1944. Ramunė Driaučiūnaitė, directrice du musée, précise : "L'ancienne prison interne du KGB a été conçue pour la torture, soulignant la présence d'une cellule unique sans lits."
Les graffitis que les prisonniers ont gravés
Les murs béton portent des inscriptions en lituanien, russe, polonais. Dates, prénoms, prières. Un détail glacial : certains prisonniers ont gravé "innocent" à côté de leur nom, dernier acte de résistance avant l'exécution.
Ces graffitis, non restaurés, forment une archive spontanée de la terreur. Contrairement au dôme berlinois transformé en art, Vilnius choisit la vérité brute.
Ce que l'on ressent et ce que l'on apprend
Les expositions permanentes : résistance, déportations, gulags
Trois étages d'expositions thématiques : la guérilla anti-soviétique (1944-1953), les déportations massives vers la Sibérie. 130 000 Lituaniens ont été déportés entre 1944 et 1953. Les conditions des gulags révélées par témoignages, objets personnels, archives.
Le fonctionnement du KGB (1954-1991) avec tables d'écoute, menottes, dossiers de surveillance. L'exposition évite le sensationnalisme : photos noir-et-blanc, documents d'archives, voix off de survivants. Un voyageur résume : "La visite peut être difficile mais elle semble indispensable pour avoir une impression réelle du chapitre soviétique de la Lituanie."
Visite guidée "Way of Freedom Behind KGB Walls"
La visite de 2 heures (35 €) inclut prison et parlement lituanien, avec focus sur l'indépendance de 1991. Guides anglophones, réservation Viator ou TripAdvisor. Prix d'entrée simple : 6 € (3 € tarif réduit), accessible.
Horaires : mercredi-samedi 10h-18h, dimanche 10h-17h. Fermé lundi-mardi. Meilleure période : mai-juin ou septembre, 15-20°C, affluence modérée.
Pourquoi Vilnius plutôt que Riga ou Budapest
Le théâtre antique de Myra raconte l'histoire par la beauté, Vilnius la raconte par la douleur. Le Musée de l'Occupation de Riga couvre l'histoire baltique similaire mais mise sur l'interactivité ludique.
À Budapest, la Maison de la Terreur présente Gestapo et ÁVH avec scénographie dramatique. Vilnius refuse le spectacle. Pas d'éclairages tamisés, pas de musique d'ambiance. Travel Addicts confirme : "Si vous ne devez en faire qu'une, nous vous conseillons celle de Vilnius, qui est la plus documentée."
Comme ces 128 reliques cachées dans un village, l'authenticité de Vilnius échappe aux circuits touristiques classiques.
Vos questions sur le Musée du KGB à Vilnius répondues
Combien coûte l'entrée et comment s'y rendre ?
Entrée : 6 € (3 € tarif réduit). Gratuit avec Vilnius Pass. Accès : 15 minutes à pied du centre historique, 6 km de l'aéroport (10-15 minutes en taxi, 10-15 €). Vols directs Paris-Vilnius : 100-250 € aller-retour, 2-3 heures de vol. Train depuis Varsovie : 8-10 heures, 60 €.
Pourquoi les Lituaniens gardent ce lieu intact ?
Trauma collectif : 130 000 Lituaniens déportés en Sibérie, plus de 1 000 exécutions au sous-sol. La conservation intacte depuis 1991 est un acte de résistance mémorielle. Contrairement à la reconstruction de Dresde ou aux transformations artistiques, Vilnius choisit la vérité brute.
Est-ce trop difficile émotionnellement ?
Ambiance lourde confirmée. Instructif mais pesant. Déconseillé aux jeunes enfants, recommandé aux adultes intéressés par l'histoire. Similaire à Tuol Sleng au Cambodge mais moins extrême visuellement. Photos autorisées sans flash par respect. Site unique dans les États baltes conservé dans un ancien siège KGB.
En remontant l'escalier vers l'avenue Gedimino, la lumière du jour frappe comme une gifle. Dehors, Vilnius vibre. Cafés, étudiants, tramways. En bas, dans le silence gris du sous-sol, 19 cellules attendent. Entre les deux, l'épaisseur d'un plafond et toute la mémoire d'un peuple.