Grandir dans un quartier difficile condamne-t-il à mal dormir et grossir ?

Le manque de sommeil fait-il grossir plus vite certaines populations ? C'est ce que suggère une étude alarmante publiée dans la revue SLEEP, qui montre un lien préoccupant entre dette de sommeil et stockage de graisse abdominale chez les jeunes adultes afro-américains et hispaniques. Des résultats qui interrogent : ces minorités ethniques sont-elles plus vulnérables aux effets métaboliques d'un mauvais sommeil ? 

Quels sont les obstacles à un repos nocturne optimal dans ces communautés ? Éléments de réponse et pistes de prévention avec le Dr Carmen Sanchez, co-autrice de l'étude.

30% des hommes hispaniques et 27% des femmes afro-américaines en dette de sommeil

Les chercheurs ont suivi pendant 5 ans l'évolution de la graisse abdominale de plus de 1000 adultes afro-américains et hispaniques en fonction de leur temps de sommeil habituel. Les différences ethniques et de genre sont frappantes :

« Chez les moins de 40 ans, 30% des hommes hispaniques et 27% des femmes afro-américaines dormaient moins de 5 heures par nuit, contre seulement 11% des hommes afro-américains. Or ce manque de sommeil était associé à un gain de masse grasse deux fois plus élevé que ceux qui dormaient 6 à 7 heures, en particulier au niveau du ventre. À l'inverse, plus de 50% des femmes hispaniques rapportaient dormir 8 heures et plus, une durée également liée à plus de graisse abdominale.»

Vidéo du jour

Ces populations cumulent donc un double facteur de risque : elles sont génétiquement et culturellement plus prédisposées à stocker les graisses au niveau abdominal, et souffrent plus fréquemment d'un sommeil inadéquat qui va aggraver ce phénomène.

Minorités ethniques : des freins spécifiques à un sommeil de qualité

Ces disparités ne sont pas une fatalité génétique mais s'expliquent en grande partie par des facteurs socio-économiques et culturels :

  • Conditions de vie précaires : les minorités ethniques sont surreprésentées dans les quartiers défavorisés aux logements dégradés (bruit, promiscuité, température...) peu propices à un sommeil réparateur.
  • Horaires décalés : le travail de nuit ou les horaires irréguliers, plus fréquents dans ces populations, perturbent l'horloge biologique.
  • Stress chronique et discriminations : le stress lié au racisme et aux discriminations est un facteur d'insomnie et de mauvaise qualité du sommeil.
  • Croyances culturelles : dans certaines cultures, le temps de sommeil est perçu comme du temps perdu ou un signe de paresse, poussant à réduire son sommeil. À l'inverse, un long sommeil peut être valorisé.
  • Co-dodo prolongé et rythme décalé des enfants : le partage du lit parental est fréquent dans les familles hispaniques, ce qui peut fragmenter le sommeil. Le rythme de coucher des enfants conditionne aussi celui des parents.

« Ces facteurs se cumulent pour créer un terrain favorable à la dette de sommeil chronique et à ses conséquences métaboliques. C'est d'autant plus préoccupant que les Afro-Américains et les Hispaniques sont déjà génétiquement plus à risque de surpoids abdominal, de syndrome métabolique et de diabète. Il est urgent de développer des actions de prévention ciblées et adaptées culturellement pour promouvoir dans ces communautés une meilleure hygiène de sommeil.» explique le Dr Sanchez.

Agir à tous les niveaux pour réduire les inégalités "ethno-sociales" de sommeil

Plusieurs leviers complémentaires peuvent être activés pour promouvoir un meilleur sommeil dans les minorités ethniques, en tenant compte de leurs spécificités culturelles :

  • Former les professionnels de santé et de la petite enfance au dépistage, à la prise en charge et à la prévention des troubles du sommeil, en intégrant la dimension culturelle.
  • Mener des actions d'éducation à la santé dans une approche communautaire impliquant des pairs : ateliers d'information, partage d'expérience, groupes de parole dans les lieux de vie.
  • Proposer un accompagnement personnalisé pour identifier les freins individuels et trouver des solutions adaptées au mode de vie (rituels du coucher, sieste...)
  • Intégrer la promotion du sommeil dans les politiques de santé publique, au même titre que l'alimentation et l'activité physique, en ciblant prioritairement les populations vulnérables.

« Au-delà du sommeil, il faut aussi agir en amont sur les conditions de vie, l'accès aux soins, l'éducation, l'emploi... C'est tout l'environnement social qu'il faut repenser pour réduire le fardeau des maladies chroniques dans ces populations. Le sommeil en est un levier essentiel, à intégrer dans une approche globale de promotion de la santé.» conclut le Dr Sanchez.

L'équation est complexe mais l'enjeu est majeur : en améliorant le sommeil des populations les plus à risque d'obésité et de diabète, on espère réduire les inégalités de santé qui ne cessent de se creuser. Aider les minorités ethniques à mieux dormir, c'est leur donner une chance de plus de se réveiller en bonne santé.