Maryse Condé, immense voix de la littérature antillaise, s'est éteinte

C'est une figure iconique des lettres francophones et caribéennes qui vient de s'éteindre. Maryse Condé, écrivaine guadeloupéenne mondialement célébrée, est décédée dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 avril 2024, à l'âge de 90 ans.

Née Maryse Liliane Appoline Boucolon en 1934 à Pointe-à-Pitre, issue d'une famille bourgeoise qui valorisait la culture française, Maryse Condé a très tôt été poussée vers les études. Après un passage en classe préparatoire puis à la Sorbonne, elle part enseigner en Afrique de l'Ouest dans les années 1960, une expérience fondatrice qui forgera sa conscience politique et son attachement au continent de ses ancêtres.

De retour en France, elle publie en 1976 Hérémakhonon, son premier roman largement autobiographique. Mais c'est avec la fresque historique Ségou, parue en 1984, qu'elle accède à une notoriété internationale. Cette saga en deux tomes sur le royaume bambara du Mali au 19e siècle est un succès critique et commercial.

Une œuvre foisonnante et engagée

Dès lors, Maryse Condé enchaîne les publications - romans, théâtre, essais - avec une régularité et une qualité impressionnantes. Parmi ses titres les plus marquants :

  • Moi, Tituba sorcière... (1986), qui redonne vie à une esclave oubliée des procès en sorcellerie de Salem
  • Traversée de la mangrove (1989), plongée chorale dans la société guadeloupéenne contemporaine
  • La Migration des cœurs (1995), réécriture antillaise des Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë
  • Célanire cou-coupé (2000), autre variation sur un grand mythe littéraire

Au fil d'une soixantaine d'ouvrages traduits dans le monde entier, Maryse Condé n'aura cessé d'interroger avec lucidité les ravages de la colonisation, les déchirements identitaires mais aussi l'universel de la condition humaine. Son style précis et imagé, sa force de conviction, en auront fait une immense ambassadrice des lettres francophones.

Engagée pour l'indépendance de la Guadeloupe et les droits des femmes, la romancière était aussi une intellectuelle en prise avec son temps. Après avoir longtemps vécu aux États-Unis où elle a fondé le Centre d'études françaises et francophones de Columbia, elle s'était retirée en Provence ces dernières années, diminuée par la maladie mais toujours attentive aux soubresauts du monde.

Une reconnaissance tardive mais éclatante

Couronnée par de nombreux prix au fil de sa carrière, c'est sur le tard, en 2018, que Maryse Condé a reçu la plus prestigieuse des récompenses : le "Nobel alternatif" de littérature décerné par la Nouvelle Académie suédoise. Une consécration pour celle qui confiait avoir souvent eu le sentiment d'être "marginalisée" en France.

Avec la disparition de Maryse Condé, c'est une page qui se tourne, celle des grandes voix postcoloniales qui ont porté la mémoire et les luttes de peuples trop longtemps opprimés. Mais son message vibrant et son œuvre puissante demeurent, appelés à résonner longtemps auprès des nouvelles générations. Maryse Condé rejoint au panthéon littéraire Aimé Césaire ou Édouard Glissant, ses frères antillais. Son héritage est immense, à la hauteur de son talent et de ses combats. Il est désormais entre nos mains de le faire vivre et d'en être dignes.