Le lac paraguayen où la déesse guarani de la lune viendrait se baigner chaque nuit selon les légendes locales

Au cœur du Paraguay, un miroir d'eau émeraude de 90 km² s'étire langoureusement entre collines verdoyantes et villages pittoresques. Le lac Ypacaraí, véritable poumon aquatique du pays, abrite dans ses eaux capricieuses et sur ses rives animées plus de 400 ans d'histoire tumultueuse. Des légendes guaranis aux batailles d'indépendance, en passant par l'âge d'or des villégiatures aristocratiques, ce lac mythique a vu défiler sur ses flots les destins entremêlés d'un peuple et d'une nation. Aujourd'hui, malgré les défis environnementaux qui le menacent, le "lac bleu" du Paraguay continue de fasciner visiteurs et locaux, offrant un kaléidoscope d'expériences où nature, culture et traditions se fondent en une symphonie unique.
Un écrin naturel aux multiples facettes
Niché à seulement 50 kilomètres d'Asunción, la capitale paraguayenne, le lac Ypacaraí s'étend sur une superficie de 90 km², avec une longueur maximale de 24 kilomètres et une largeur atteignant 5 kilomètres par endroits. Ses eaux peu profondes – 3 mètres en moyenne – sont alimentées par une dizaine de cours d'eau, dont le principal est le río Pirayú. Le lac se déverse ensuite dans le río Salado, qui rejoint à son tour le majestueux río Paraguay.
Cette situation géographique particulière, au cœur d'une dépression tectonique datant du Mésozoïque, confère au lac Ypacaraí un écosystème unique. Les collines qui l'entourent, vestiges de l'ancienne cordillère d'Altos, créent un microclimat propice à une biodiversité exceptionnelle. On y recense plus de 200 espèces d'oiseaux, dont le emblématique jabiru d'Amérique, ainsi qu'une multitude de poissons, reptiles et mammifères.
Malheureusement, cet équilibre fragile est aujourd'hui menacé. La croissance démographique et le développement agricole intensif dans le bassin versant du lac ont entraîné une pollution croissante de ses eaux. L'eutrophisation, phénomène d'enrichissement excessif en nutriments, provoque régulièrement des proliférations d'algues toxiques, donnant à l'eau une teinte verdâtre caractéristique.
Des profondeurs du temps aux rives de l'histoire
Les eaux du lac Ypacaraí sont imprégnées de mythes et de légendes. Pour les Guaranis, premiers habitants de la région, le lac était la demeure de Yacy, la déesse de la lune. On raconte qu'elle y descendait chaque nuit pour se baigner, laissant derrière elle un sillage argenté sur les flots.
L'histoire écrite du lac commence véritablement avec l'arrivée des conquistadors espagnols au XVIe siècle. En 1603, le frère franciscain Luis Bolaños fonde sur ses rives la réduction de San Bernardino, marquant le début de l'évangélisation de la région. Une légende tenace affirme que le religieux aurait béni les eaux du lac, leur conférant des propriétés miraculeuses.
Au XIXe siècle, le lac Ypacaraí devient le théâtre d'événements cruciaux pour l'indépendance du Paraguay. En 1811, c'est sur ses rives que le général Manuel Belgrano, envoyé par la junte de Buenos Aires, rencontre secrètement les patriotes paraguayens pour préparer la rupture avec l'Espagne.
"Le lac Ypacaraí a été le témoin silencieux de notre lutte pour la liberté. Ses eaux ont porté les murmures de nos conspirateurs et reflété l'éclat de nos premiers jours d'indépendance", confie Ernesto Giménez, historien local passionné.
Vidéo du jour
La fin du XIXe siècle marque l'avènement du lac comme destination de villégiature prisée de l'élite paraguayenne et internationale. En 1888, l'ouverture de la ligne de chemin de fer reliant Asunción à Villarrica transforme les rives du lac. Des hôtels luxueux, comme le célèbre Hotel del Lago à San Bernardino, accueillent une clientèle cosmopolite, dont les présidents Franklin D. Roosevelt et Charles de Gaulle.
Un kaléidoscope d'expériences au fil de l'eau
Aujourd'hui, malgré les défis environnementaux, le lac Ypacaraí reste une destination incontournable pour qui veut découvrir l'âme du Paraguay. Les activités nautiques, bien que réglementées, permettent d'explorer ses eaux sur des embarcations traditionnelles ou lors de croisières plus confortables.
Les amateurs de randonnée trouveront leur bonheur dans les collines environnantes. Le Cerro Koi, à Areguá, offre une vue imprenable sur le lac et abrite des formations géologiques uniques : des colonnes de grès hexagonales façonnées par l'érosion. Contrairement à certains lacs alpins aux eaux cristallines, le Ypacaraí fascine par ses reflets changeants et son caractère mystérieux.
Les villes qui bordent le lac sont autant de joyaux à explorer. Areguá, "capitale de la fraise", charme par ses rues pavées et ses maisons coloniales aux façades colorées. Ypacaraí, berceau de l'artisanat paraguayen, invite à découvrir le travail du cuir et de la dentelle ñandutí, véritable dentelle d'araignée tissée à la main.
San Bernardino, ancienne station balnéaire huppée, conserve le charme suranné de la Belle Époque. Son carnaval, en février, attire des milliers de visiteurs dans une explosion de couleurs et de musique.
Saveurs et mélodies : l'âme du Paraguay au bord du lac
La gastronomie locale est un festin pour les sens. Dans les charmants restaurants qui bordent le lac, on déguste des spécialités paraguayennes comme le vori vori, une soupe de boulettes de maïs et de fromage, ou le chipa guasu, un gâteau salé à base de maïs et de fromage. À l'instar de certains villages français réputés pour leurs spécialités, chaque localité autour du lac a sa propre fierté culinaire.
Le lac Ypacaraí a inspiré de nombreux artistes, à commencer par les compositeurs Zulema de Mirkin et Demetrio Ortiz, auteurs de la célèbre chanson "Recuerdos de Ypacaraí". Ce guarania, genre musical typiquement paraguayen, est devenu un hymne national officieux, célébrant la beauté et la nostalgie du lac.
"Chaque soir, quand le soleil se couche sur le lac, c'est comme si les eaux se mettaient à chanter. On entend presque les notes de 'Recuerdos de Ypacaraí' flotter dans l'air", raconte María Escobar, propriétaire d'une pousada à San Bernardino.
Un patrimoine en péril : les défis du lac Ypacaraí
Si le lac Ypacaraí reste un joyau du Paraguay, son avenir est incertain. La pollution croissante menace non seulement l'écosystème, mais aussi l'économie locale largement dépendante du tourisme. Des initiatives de nettoyage et de sensibilisation se multiplient, portées par des associations locales et soutenues par le gouvernement.
Le projet "Ypacaraí Limpio" (Ypacaraí Propre), lancé en 2018, vise à restaurer la qualité des eaux du lac grâce à des techniques innovantes de phytoépuration. Des plantes aquatiques sont utilisées pour filtrer naturellement les polluants, tandis que des campagnes d'éducation environnementale sensibilisent la population locale à l'importance de préserver ce patrimoine naturel.
À l'instar de certaines villes historiques qui ont su préserver leur patrimoine millénaire, les communautés du lac Ypacaraí s'efforcent de concilier développement économique et protection de l'environnement. L'enjeu est de taille : il s'agit de sauvegarder non seulement un écosystème unique, mais aussi un pan entier de l'identité culturelle paraguayenne.
Vers un avenir durable pour le "lac bleu" du Paraguay ?
Le lac Ypacaraí, avec ses eaux mystérieuses et ses rives chargées d'histoire, reste un lieu de fascination et de contemplation. Malgré les défis auxquels il fait face, ce joyau naturel et culturel du Paraguay continue d'enchanter visiteurs et locaux. Sa capacité à traverser les époques, à inspirer les artistes et à nourrir les légendes en fait bien plus qu'un simple plan d'eau : c'est le cœur battant d'une région, le gardien d'une mémoire collective.
Alors que le soleil se couche sur ses eaux miroitantes, teintant le ciel de nuances flamboyantes, on ne peut s'empêcher de ressentir la magie du lieu. Le lac Ypacaraí, trait d'union entre passé et présent, nature et culture, nous rappelle l'importance de préserver ces espaces uniques où l'âme d'un pays se révèle dans toute sa splendeur.
"Le lac Ypacaraí n'est pas seulement un lieu, c'est une part de nous-mêmes. Chaque Paraguayen porte en lui un peu de ses eaux, un écho de ses légendes. Notre devoir est de le protéger, pour que les générations futures puissent elles aussi se perdre dans sa contemplation et se retrouver dans son histoire", conclut Pablo Medina, écrivain et environnementaliste paraguayen.