Dossier : ce qui plombe le décollage du tourisme en Algérie

1200 kilomètres de côtes méditerranéennes aux plages intactes, des cités antiques parmi les mieux préservées du Maghreb, des paysages sahariens à perte de vue... Sur le papier, l'Algérie a tout d'une destination de rêve. Et pourtant, le pays peine à attirer plus de 2,5 millions de visiteurs étrangers par an, la plupart issus de la diaspora algérienne. À titre de comparaison, le Maroc et la Tunisie voisins en accueillent respectivement 13 et 9 millions. Pourquoi un tel écart ? Les raisons sont multiples, à la fois structurelles et conjoncturelles.

L'ombre portée de la "décennie noire"

Impossible de comprendre le retard touristique algérien sans revenir sur les années 1990 et la guerre civile qui a déchiré le pays. Durant cette "décennie noire", le pays s'est enfoncé dans un cycle de violences entre l'armée et les groupes islamistes armés, faisant des centaines de milliers de victimes civiles. Une période sombre dont l'épisode le plus tragique reste l'assassinat des moines de Tibhirine en 1996, qui a durablement marqué les esprits à l'international.

Même si la situation sécuritaire s'est considérablement améliorée depuis, cette image de pays à risques colle toujours à la peau de l'Algérie. En témoigne l'attaque meurtrière contre le site gazier d'In Amenas en 2013, qui a refroidi plus d'un voyagiste. "L'Algérie reste le pays où il est le plus difficile d'entrer et le moins visité au monde", confirme Andrew Farrand, chercheur pour l'Afrique du Nord à l'Atlantic Council. Une frilosité renforcée par l'instabilité politique chronique du pays, comme l'ont montré les manifestations antigouvernementales de 2019.

Une volonté politique en demi-teinte

Face à ces handicaps, les autorités algériennes peinent à définir une stratégie claire pour relancer la machine touristique. Malgré les discours volontaristes sur la nécessaire diversification de l'économie, le secteur n'a jamais été une priorité pour un pays qui vit essentiellement de sa rente pétrolière et gazière. "La malédiction du pétrole touche tous les secteurs, analyse Farrand. Elle donne à l'État l'argent dont il a besoin sans avoir à développer une industrie touristique, bien plus complexe."

Résultat : le budget alloué au ministère du Tourisme ne cesse de baisser et les projets d'envergure (zones d'expansion touristique, grands complexes hôteliers...) restent enlisés. Une négligence qui s'explique aussi par la méfiance des autorités envers un tourisme perçu comme une menace pour l'identité et les valeurs traditionnelles du pays. "Après l'indépendance, l'Algérie était désireuse de reconstruire et protéger sa culture face à l'influence occidentale, analyse Adel Hamaizia, chercheur à Oxford. Beaucoup voient encore le touriste étranger comme un cheval de Troie."

Un déficit abyssal d'image et de promotion

Autre point noir : la quasi absence de promotion de la destination Algérie à l'international. Aucune grande campagne dans les médias, des sites web institutionnels indigents et dépassés, une présence timide dans les grands salons... L'Algérie reste un angle mort du marketing touristique mondial. "Nos concurrents du Maghreb ont des portails déclinés en 4 ou 5 langues. En Algérie, même les sites des parcs nationaux n'existent qu'en arabe et en français !", déplore Said Boukhelifa, expert en tourisme.

Un déficit aggravé par la lourdeur kafkaïenne des procédures de visas, qui décourage les candidats au voyage. Alors que le Maroc et la Tunisie assouplissent leurs formalités, Alger campe sur des conditions draconiennes : invitation d'une agence locale, billets, hôtels, assurance... "Le taux de refus avoisine les 30%, un record mondial", s'alarme Boukhelifa. Officiellement pour des raisons de sécurité, officieusement pour filtrer les visiteurs indésirables.

Le talon d'Achille des infrastructures

Les rares touristes qui franchissent le pas se heurtent ensuite au manque criant d'infrastructures adaptées. Malgré quelques timides avancées, l'Algérie reste très en deçà des standards internationaux, tant en quantité qu'en qualité. Avec à peine 110 000 lits, la capacité hôtelière est trois à quatre fois inférieure à celle de la Tunisie ou du Maroc. Les établissements sont souvent vétustes, mal répartis et peu diversifiés.

Même constat pour les transports : en dehors d'Alger, les aéroports sont vieillissants et mal desservis. Quant au réseau routier et autoroutier, il demeure très lacunaire, rendant difficile les déplacements à l'intérieur du pays. Des carences qui pénalisent lourdement les tour-opérateurs et freinent la mise en tourisme des innombrables trésors du pays, des ruines romaines de Tipaza aux oasis de Djanet.

L'épineuse question de l'intégrisme religieux

Enfin, le développement touristique algérien se heurte aussi aux résistances d'une frange conservatrice de la société, qui voit d'un mauvais oeil l'arrivée de visiteurs perçus comme "impudiques". Dans certaines régions reculées, les comportements des touristes en tenue légère sont vécus comme une agression des valeurs traditionnelles. Prêches hostiles, tags anti-touristes, parfois même agressions verbales ou physiques... Un climat de défiance savamment entretenu par les tenants d'un islam rigoriste, mais soigneusement occulté par les autorités.

Malgré ces freins persistants, l'Algérie conserve de solides atouts pour faire décoller son tourisme. Le pays commence à prendre conscience de la nécessité de miser sur un "tourisme durable et de niche", axé sur l'écotourisme, le patrimoine et les rencontres authentiques. Des segments porteurs et adaptés au profil d'une clientèle plus aisée et culturelle, comme le montre l'essor timide du tourisme saharien ces dernières années.

Surtout, l'Algérie bénéficie d'un capital sympathie intact auprès des connaisseurs, séduits par la beauté de ses paysages et la chaleur de son accueil. "Les Algériens sont incroyables, surtout les plus modestes, s'enthousiasme un routard français habitué du pays. Leur hospitalité n'a pas d'égal, on sent un vrai lien humain qu'on ne trouve plus ailleurs." Un trésor d'humanité qui, s'il était mieux mis en valeur, pourrait faire de l'Algérie la nouvelle pépite touristique du Maghreb.